Après la sortie en 2016 de Rétro Taiwan, le temps retrouvé dans le cinéma sinophone contemporain, de Corrado Neri, la
collection « Études formosanes » poursuit son exploration des liens entre Taiwan et les grandes questions du monde
contemporain, ici celle de l’entrée de la planète dans l’ère de l’Anthropocène. Ce second volume étudie comment la
littérature peut être une modalité d’observation, de résistance et de création, au service d’une réflexion qui doit être
aujourd’hui transdisciplinaire pour mieux appréhender le problème systémique qu’est le réchauffement climatique.
Adoptant une approche écocritique, Gwennaël Gaffric aborde ici le traitement littéraire des questions écologiques
à Taiwan. Il centre son étude sur les oeuvres de
Wu Ming-yi, figure majeure des scènes littéraire, artistique et militante
taïwanaises, mais il s’attache à élargir son propos en mettant en perspective et en dialogue des textes d’autres auteurs
taïwanais contemporains, ainsi que des réflexions proposées par des penseurs issus de plusieurs disciplines et de tous
horizons géographiques, d’Asie, d’Europe et d’ailleurs. Il réalise ainsi une impressionnante synthèse, où l’écologie devient
une ontologie de la relation entre humains et non-humains et un chemin épistémologique pour penser l’Anthropocène.
À la lumière de cette vision écocritique à travers le prisme de Taiwan et de Wu Ming-yi, sont mises en avant trois
dimensions de la littérature à l’ère de l’Anthropocène : l’écriture et la narration de la « nature » ; l’écriture et la pratique
militante ; l’écriture et la création de devenirs alternatifs. Une bibliographie extensive et trois index achèvent de faire
de ce livre un ouvrage de référence.
La Littérature à l’ère de l’Anthropocène dépasse ainsi de très loin le cadre de l’île qui a vu naître Wu Ming-yi. S’appuyant
sur une méthodologie située au croisement des études taïwanaises, de l’écocritique et de la critique postcoloniale,
Gwennaël Gaffric explore de façon pénétrante la manière dont Wu Ming-yi s’empare des questions écologiques pour
transcender nos conceptions normatives de l’humain et du
non-humain, du local et du global.
Quoique tirés de la fiction littéraire, les exemples sont
concrets : de l’observation des écosystèmes naturels à la
critique de la planification urbaine, de la réécriture de l’histoire
à travers le prisme de l’environnement aux revendications
identitaires, de la critique des idéologies spéciste
et anthropocentriste à l’imagination science-fictionnelle
des catastrophes écologiques.
Le livre de Gwennaël Gaffric n’est pas seulement la première
monographie, toutes langues confondues, consacrée
à Wu Ming-yi ; il n’est pas seulement une des rares études
en langue française consacrée à la littérature taïwanaise
contemporaine ; il est aussi un guide de lecture sur l’un des
auteurs taïwanais les plus importants de la scène littéraire insulaire et internationale (sélectionné pour le Man Booker
International Prize en mars 2018).
La Littérature à l’ère de l’Anthropocène est une réflexion profonde sur ce lieu heuristique d’une écologie de la survie
qu’est Taiwan, qui concentre nombre des dimensions de la question : territoire d’une biodiversité exceptionnelle mais
menacée, point de passage de nombreuses espèces animales et de groupes humains migrants, biotope global confronté
à de nombreux aléas industriels, risques nucléaires, risques naturels, climatiques et géologiques, et société libre dans
laquelle les revendications écologiques font partie du débat public.
L’ouvrage est précédé d’une préface de Stéphane Corcuff, directeur de la collection « Études formosanes » et enseignant-
chercheur à Sciences Po Lyon. Son « Prélude à l’Anthropocène » est une entrée en matière saisissante comme
peut l’être un texte écrit en regardant, sans détourner les yeux, l’abîme indescriptible que paraît être l’Anthropocène. Il
réfléchit à l’ontologie de cette ère de l’histoire du monde qui s’ouvre, en appelant notamment à une transdisciplinarité
radicale pour penser cette terrifiante perspective qui pourrait l’être moins à partir du moment où elle serait formulée,
et en posant la question : au fond, l’Homme a-t-il jamais été un Homo sapiens ?
【Intervenants / 講者介紹】
Gwennaël Gaffric 關首奇
Gwennaël Gaffric, né en 1987, est maître de conférences en langue et littérature chinoises
à l’université Jean-Moulin Lyon 3. Il est l’auteur de plusieurs articles en français, en anglais
et en chinois portant sur la littérature sinophone (Chine, Hong Kong et Taiwan). Traducteur
littéraire, il dirige à l’Asiathèque la collection « Taiwan Fiction ».
Parmi ses
traductions parues à l’Asiathèque : la Cité des douleurs (Wu Nien-jen et Chu Tien-wen),
Membrane (Chi Ta-wei) et le Magicien sur la passerelle (Wu Ming-yi). Ses récentes
recherches portent sur la science-fiction contemporaine sinophone. À ce titre, il est aussi
le traducteur de la trilogie de Liu Cixin (éd. Actes Sud) initiée avec le Problème à trois
corps, et de la Guerre des bulles, de Kao Yi-feng, éditions Mirobole.
Jean-Yves Heurtebise 何重誼
Jean-Yves Heurtebise, docteur de philosophie de l’Université d’Aix-Marseille, est maître de conférences à l’Université Catholique FuJen (Taipei, Taiwan). Il est aussi membre associé du CEFC (Centre d’études français sur la Chine contemporaine, Hong-Kong) et chercheur affilié au Kozmetsky Global Collaboratory à l’Université de Stanford (États-Unis).
Stéphane Corcuff 高格孚
Stéphane Corcuff, né à Brest en 1971, obtient en 2000 son doctorat à l'Institut d'études politiques de Paris. Enseignant-chercheur spécialiste du monde chinois, il étudie particulièrement Taiwan où il a vécu de longues périodes sous l'angle des dynamiques identitaires de ses marges, de son histoire géopolitique et de sa recomposition politique.
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