Tout ce que nous savons d'absolument nouveau et original sur
la structure du sujet et la dialectique du désir que nous avons à articuler,
nous analystes, nous l'avons appris par quelle voie ? Par la voie de
l'expérience du névrosé. Or, que nous a dit Freud à ce propos ? Que le dernier
terme où il soit arrivé en élaborant cette expérience, son point d'arrivée, sa
butée, le terme pour lui indépassable, c'est l'angoisse de castration. Qu'est-ce
à dire ? Ce terme est-il indépassable ? Que signifie cet arrêt de la dialectique
analytique sur l'angoisse de castration ? Ne voyez-vous pas déjà, dans le seul
usage du schématisme que j'emploie, se dessiner la voie par où j'entends vous
conduire ? Elle part d'une meilleure articulation de ce fait de l'expérience que
Freud a désigné dans la butée du névrosé sur l'angoisse de castration.
L'ouverture que je vous propose, la dialectique qu'ici je vous démontre, permet
d'articuler que ce n'est point l'angoisse de castration en elle-même qui
constitue l'impasse dernière du névrosé. (Extrait du chapitre IV)
L'insecte qui se promène à la surface de la bande de Moebius, s'il a la
représentation de ce que c'est qu'une surface, peut croire à tout instant qu'il
y a une face qu'il n'a pas explorée, celle qui est toujours à l'envers de celle
sur laquelle il se promène. Il peut croire à cet envers, alors qu'il n'y en a
pas, comme vous le savez. Lui, sans le savoir, explore la seule face qu'il y ait,
et pourtant, à chaque instant, il y a bien un envers. Ce qui lui manque pour
s'apercevoir qu'il est passé à l'envers, c'est la petite pièce qu'un jour j'ai
matérialisée, construite, pour vous la mettre dans la main, celle que vous
dessine cette façon de couper le cross-cap. Cette petite pièce manquante, c'est
une sorte de court-circuit qui l'amènerait, par le chemin le plus court, à
l'envers du point où il était l'instant d'avant. Cette petite pièce manquante,
le a dans l'occasion, l'affaire est-elle donc résolue parce que nous la
décrivons sous cette forme paradigmatique ? Absolument pas, car c'est le fait
qu'elle manque qui fait toute la réalité du monde où se promène l'insecte. Le
petit huit intérieur est bel et bien irréductible. Autrement dit, c'est un
manque auquel le symbole ne supplée pas. (Extrait du chapitre X)
De l'angoisse, nous connaissons tous les
manifestations : des sensations de déplaisir spécifique qui
se traduisent physiquement au niveau du coeur, de la
respiration ou de l'abdomen. Nous connaissions moins bien,
avant Freud, les sources psychiques de l'angoisse et les
moyens dont nous usons pour tenter de l'éradiquer. Ce sur
quoi Freud aura très tôt attiré l'attention, dans son texte
de 1926, Inhibition, symptôme, angoisse, qu'il faut lire ou
relire pour comprendre les développements qu'en donne Lacan
dans son séminaire de 1962-63, c'est la valeur de signal que
comporte l'angoisse : le signal d'un danger, distinct de la
peur qui, comme tel, avertit d'un malaise psychique, d'un
déplaisir intérieur qu'on sera tenté de transformer en
danger venant du monde extérieur. Ainsi, la phobie de
certains animaux qui ne comportent aucun danger réel, des
compulsions à se laver les mains ou à procéder à des
vérifications inutiles, des craintes irraisonnées de sortir
non accompagné, etc., sont des symptômes qui visent à
éliminer l'angoisse... L'angoisse réveille une situation de
danger psychique par rapport à une situation de détresse
antérieure, perçue, remémorée, attendue. L'angoisse est donc
l'attente d'une répétition, même sous une forme atténuée,
une attente de caractère indéterminé pour le sujet, un
rappel d'une situation vécue à laquelle il n'a pas pu se
confronter efficacement dans le passé... Quelle que soit la
perte d'objet, l'angoisse n'est pas le signal d'un manque
mais le signal du défaut de l'appui que donne le manque. En
s'appuyant lui-même sur l'analyse que fait Freud de
l'inquiétante étrangeté ou de l'étrange familiarité telle
qu'on la trouve dans les contes d'Hoffmann, c'est la figure
du double que rencontre l'angoisse telle que Lacan le met en
évidence, la figure du même dans l'autre ou du trop de
présence de l'autre à soi ou en soi. Ce qui lui fera dire, à
un certain congrès de son Ecole, qui se tenait à Strasbourg
et où ses élèves n'avaient que trop répondu à son attente,
qu'il se trouvait comblé et souffrait donc d'un manque du
manque... La lecture de ce Séminaire de Lacan est
particulièrement bienvenue en ces temps où tout est fait
pour supprimer ou juguler l'angoisse, que ce soit l'angoisse
morale, par la camisole pharmacologique qui bride le désir,
ou l'angoisse sociale, par la chaîne signifiante du
sécuritaire à outrance dans laquelle on aliène le sujet...
Je ne sais si c'est en raison de l'existence d'un exemplaire
dactylographié exceptionnel dont a bénéficié l'établissement
du texte, mais la lisibilité de ce Séminaire est remarquable.
Ayant assisté à l'enseignement de Lacan à cette époque, je
n'en gardais pas le souvenir d'une telle clarté. Il est vrai
que son style était encore d'une facture classique dont on
peut dire qu'elle a été bien restituée. C'est un bonheur.
Pour explorer ces questions, ce livre analyse les différentes théories formulées en un long Moyen Âge, qui va d’Augustin au Concile de Trente. Les concepts de trace, de symbole, de ressemblance, d’image mentale, de figure matérielle construisent, dans une confrontation permanente avec la parole et l’écriture, les structures souples mais cohérentes de la représentation. Objets de mémoire et de récit, de méditation et de visualisation, d’usage et de vénération, les images appartiennent alors à une histoire des formes de la vérité.
Pourtant les penseurs médiévaux admettent aussi que l’essentiel (la pensée et le divin) est invisible pour les yeux. Ils orientent l’image vers ce qui la dépasse. Travaillée par l’opposition entre ressemblance et non-figuration, la doctrine de l’image enchaîne ainsi conflits et crises.
Au cours de cette histoire tumultueuse, l’art, la politique et la théologie s’entrecroisent. Et peu à peu s’affirment la visibilité de Dieu, l’exaltation du contemplateur, et la souveraineté de l’artiste – le triomphe du visible, si proche de notre modernité.
L’image médiévale n’appartient donc pas seulement aux historiens d’art, elle nous donne aussi à penser.
Olivier Boulnois est directeur d’études à l’École pratique des hautes études.1,540/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001958756
DIDEROT. DU MATERIALISME A LA POLITIQUEL'œuvre de Diderot se présente comme un tout paradoxalement inachevé, ouvert et changeant. C'est à cet univers d'une pensée gambadant de préoccupations métaphysiques au commentaire de l'actualité politique, entre romans, dialogues, articles, réfutations, correspondances, que nous introduit Colas Duflo. Le Diderot en mouvement, philosophe autant qu'écrivain, penseur par fictions autant que par concepts, promoteur de la diffusion publique des vérités et expert en jeux avec la censure, revit ici en pleine lumière. Rétive à tout système, sa pensée offre une cohérence subtile. Matérialisme, moi multiple, critique de l'illusion de la liberté : tels sont quelques-uns des points forts qui traversent toute l'œuvre. Comme le lecteur actif auquel s'adresse Diderot, Colas Duflo relie tous les éléments éclatés, de la philosophie à l'anthropologie, de la philosophie politique à la méditation sur la civilisation, et révèle une œuvre d'une rare et saisissante présence, d'une exubérante liberté.550/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001955534
PHILOSOPHIE DES PORNOGRAPHES - LES AMBITIONS PHILOSOPHIQUES DU ROMAN LIBERTINDéculpabilisation du plaisir, défense comme « naturelles » de conduites sexuelles condamnées par l’Église, affirmation qu’une sexualité libre est compatible avec une vie honnête et la favorise même : ces thèses ont été au cœur d’une nouvelle morale, promue par les penseurs les plus audacieux des Lumières, fondée sur la raison plutôt que sur la Révélation. Or l’importance des romans libertins et pornographiques dans l’élaboration et la diffusion de ces idées a été méconnue. Dom Bougre, Thérèse philosophe, Les Bijoux indiscrets, Juliette ou Le Rideau levé… ces textes, massivement distribués sous le manteau, mettent en oeuvre une philosophie narrative où se mêlent la lasciveté des scènes et l’énergie des raisonnements métaphysiques. Entre deux ébats, on disserte sur les dangers de l’intolérance religieuse, on montre les conséquences libératrices du matérialisme ou de l’athéisme, et les vertus du « spinozisme ». Et, bien souvent, on entend ici, pour la première fois, la voix des femmes.
Colas Duflo montre comment cette littérature clandestine, aussi scandaleuse par les scènes qu’elle décrit que par les questions philosophiques qu’elle pose, a frayé la voie à des valeurs qui sous-tendent nos sociétés modernes : des libertés et une tolérance dont on aurait tort de croire qu’elles vont de soi, tant elles font régulièrement face à des vagues régressives et répressives.
Colas Duflo, professeur à l’université Paris-Nanterre, est spécialiste de la philosophie et de la littérature du XVIIIe siècle. Il est notamment l’auteur de Diderot philosophe (Champion classiques), Diderot. Du matérialisme à la politique (CNRS Éditions) et Les Aventures de Sophie. La philosophie dans le roman au XVIIIe siècle (CNRS Éditions).1,270/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001955509
Les éditeurs de Kehl avaient placé le corpus théâtral de Voltaire en tête de l’édition. Pourtant, aujourd’hui, par un curieux déplacement générique, l’actualité théâtrale de Voltaire passe plutôt par la mise en scène de ses contes. Candide, surtout, ne cesse de susciter de nouvelles productions scéniques. Malgré la désaffection dont souffre le théâtre de Voltaire, sa production théâtrale intéresse plus que jamais les chercheurs. Les Journées Voltaire de 2021 ont ainsi été consacrées aux « Scènes de Voltaire : entre la Cour et la ville ». L’approche choisie induit en effet un questionnement sociologique tout autant que politique, redoublant en creux la cartographie dramatique du côté cour, côté jardin. Les chercheuses et de chercheurs interrogent ici collectivement la production voltairienne pour les scènes, privées et publiques, de Versailles, de Paris et des provinces, mais aussi des colonies. Pas moins de seize contributions renouvellent la compréhension des logiques esthétiques et dramaturgiques du théâtre voltairien dans leur genèse comme dans leur appréciation à travers les époques, la réception de ce théâtre, tant par des publics contemporains que plus tardifs, étant, pour l’auteur de Zaïre plus que pour tout autre peut-être, indissociable de son processus créatif.
Pour cette nouvelle livraison de la Revue Voltaire, les Varia proposent deux articles qui font état de recherches au long cours : Vladimir A. Somov, chercheur au Conservatoire national de Saint-Pétersbourg, livre la seconde partie de son enquête sur « L’édition Kehl en Russie », analysant cette fois les stratégies de la censure impériale face à l’arrivée des livres édités par la Société littéraire et typographique fondée par Beaumarchais. John Iverson, spécialiste des questions de tolérance et de religion chez Voltaire, poursuit son enquête à partir des manuscrits de Saint-Pétersbourg relatifs à l’affaire La Barre.1,600/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001955494