Jamais nous n’avons été aussi conscients de former une seule humanité. Nous nous savons tous exposés aux mêmes risques : changement climatique, crise économique et écologique, épidémies, terrorismes, etc. Mais alors qu’elle s’impose dans les consciences, l’unité de l’humanité recule dans les représentations : revendications identitaires, nationalismes, xénophobies, radicalités religieuses. L’universel est accusé de toutes parts : il serait oublieux des particularismes et des différences, en somme il serait trop universel. Ou il ne le serait pas assez, il ne serait que le masque du plus fort : du patriarcat (tous les hommes, mais pas les femmes), de l’Occident (tous les hommes, mais seulement les Blancs), ou de l’anthropocentrisme (tous les hommes, mais pas les animaux). Contre ces replis, il faut que les idées universalistes retrouvent leur puissance mobilisatrice et critique. Contre la dictature des émotions et des opinions, défendre la raison scientifique. Contre l’empire des identités, refonder une éthique de l’égalité et de la réciprocité. Sur quoi peut aujourd’hui reposer cet héritage des Lumières ? Ni sur un Dieu, ni sur la Nature, car ils prouvent tout et son contraire. Il faut s’y résoudre : l’humanité est seule source de valeurs. Pour autant, nous ne sommes pas condamnés au relativisme. Car l’humanité, ce n’est pas seulement l’ensemble des êtres humains, c’est aussi la qualité présente en chacun de nous et qui nous lie aux autres : non pas la capacité de communiquer qui est aussi propre à d’autres espèces, ni l’aptitude à raisonner que possèdent certaines machines, mais la faculté de raisonner en communiquant, autrement dit de dialoguer.
Philosophe et professeur émérite à l’École normale supérieure (Paris), Francis Wolff est notamment l’auteur, chez Fayard, de Philosophie de la corrida (2007), Notre humanité (2010), Pourquoi la musique ? (2015), Il n’y a pas d’amour parfait (2016, prix Bristol des Lumières 2016 et prix lycéen du livre de philosophie 2018) et Trois utopies contemporaines (2017).
Pour explorer ces questions, ce livre analyse les différentes théories formulées en un long Moyen Âge, qui va d’Augustin au Concile de Trente. Les concepts de trace, de symbole, de ressemblance, d’image mentale, de figure matérielle construisent, dans une confrontation permanente avec la parole et l’écriture, les structures souples mais cohérentes de la représentation. Objets de mémoire et de récit, de méditation et de visualisation, d’usage et de vénération, les images appartiennent alors à une histoire des formes de la vérité.
Pourtant les penseurs médiévaux admettent aussi que l’essentiel (la pensée et le divin) est invisible pour les yeux. Ils orientent l’image vers ce qui la dépasse. Travaillée par l’opposition entre ressemblance et non-figuration, la doctrine de l’image enchaîne ainsi conflits et crises.
Au cours de cette histoire tumultueuse, l’art, la politique et la théologie s’entrecroisent. Et peu à peu s’affirment la visibilité de Dieu, l’exaltation du contemplateur, et la souveraineté de l’artiste – le triomphe du visible, si proche de notre modernité.
L’image médiévale n’appartient donc pas seulement aux historiens d’art, elle nous donne aussi à penser.
Olivier Boulnois est directeur d’études à l’École pratique des hautes études.1,540/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001958756
ARTISTE ET LE PHILOSOPHERassemblant les contributions d'historiens de l'art et de philosophes, l'ambition de cet ouvrage est de réinterroger le modèle qu'a constitué le discours philosophique pour l'art et la théorie de l'art au XVIIe siècle. Quels sont les emprunts (ou les oublis), les choix et les découpes opérés entre les deux champs ? Quels sont les modes et les formes d'appropriation d'un discours par l'autre ? Dans quelle mesure les principes, règles et raisons qui organisent la pratique artistique peuvent-ils valoir comme théorie de l'art ? L'effort théorique peut-il être considéré comme une alternative ou un substitut à la pensée philosophique ? L'activité artistique est-elle pensée alors comme une forme d'activité cognitive, parallèle à la philosophie ? Quelle est la place de l'illustration, des images et des théories de l'image dans la philosophie de l'époque moderne ? Quelle est la validité du modèle du Peintre-Philosophe ? Enfin, sous-tendant l'ensemble de ces contributions, de quelle écriture et de quels outils dispose l'histoire de l'art contemporaine pour penser les enjeux philosophiques et théoriques de ses objets d'études ?1,100/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001956149
DIDEROT. DU MATERIALISME A LA POLITIQUEL'œuvre de Diderot se présente comme un tout paradoxalement inachevé, ouvert et changeant. C'est à cet univers d'une pensée gambadant de préoccupations métaphysiques au commentaire de l'actualité politique, entre romans, dialogues, articles, réfutations, correspondances, que nous introduit Colas Duflo. Le Diderot en mouvement, philosophe autant qu'écrivain, penseur par fictions autant que par concepts, promoteur de la diffusion publique des vérités et expert en jeux avec la censure, revit ici en pleine lumière. Rétive à tout système, sa pensée offre une cohérence subtile. Matérialisme, moi multiple, critique de l'illusion de la liberté : tels sont quelques-uns des points forts qui traversent toute l'œuvre. Comme le lecteur actif auquel s'adresse Diderot, Colas Duflo relie tous les éléments éclatés, de la philosophie à l'anthropologie, de la philosophie politique à la méditation sur la civilisation, et révèle une œuvre d'une rare et saisissante présence, d'une exubérante liberté.550/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001955534
PHILOSOPHIE DES PORNOGRAPHES - LES AMBITIONS PHILOSOPHIQUES DU ROMAN LIBERTINDéculpabilisation du plaisir, défense comme « naturelles » de conduites sexuelles condamnées par l’Église, affirmation qu’une sexualité libre est compatible avec une vie honnête et la favorise même : ces thèses ont été au cœur d’une nouvelle morale, promue par les penseurs les plus audacieux des Lumières, fondée sur la raison plutôt que sur la Révélation. Or l’importance des romans libertins et pornographiques dans l’élaboration et la diffusion de ces idées a été méconnue. Dom Bougre, Thérèse philosophe, Les Bijoux indiscrets, Juliette ou Le Rideau levé… ces textes, massivement distribués sous le manteau, mettent en oeuvre une philosophie narrative où se mêlent la lasciveté des scènes et l’énergie des raisonnements métaphysiques. Entre deux ébats, on disserte sur les dangers de l’intolérance religieuse, on montre les conséquences libératrices du matérialisme ou de l’athéisme, et les vertus du « spinozisme ». Et, bien souvent, on entend ici, pour la première fois, la voix des femmes.
Colas Duflo montre comment cette littérature clandestine, aussi scandaleuse par les scènes qu’elle décrit que par les questions philosophiques qu’elle pose, a frayé la voie à des valeurs qui sous-tendent nos sociétés modernes : des libertés et une tolérance dont on aurait tort de croire qu’elles vont de soi, tant elles font régulièrement face à des vagues régressives et répressives.
Colas Duflo, professeur à l’université Paris-Nanterre, est spécialiste de la philosophie et de la littérature du XVIIIe siècle. Il est notamment l’auteur de Diderot philosophe (Champion classiques), Diderot. Du matérialisme à la politique (CNRS Éditions) et Les Aventures de Sophie. La philosophie dans le roman au XVIIIe siècle (CNRS Éditions).1,270/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001955509