Taipei, le 24 janvier 2011.
Chère Françoise,
Voilà six mois que je suis à Taiwan. La nuit vient de tomber sur Yangmingshan, elle tombe si tôt de ce côté du monde…
Dix mois se sont écoulés depuis notre première rencontre à Paris. C’était un 28 mars pluvieux, au 53 rue de Verneuil. Nous étions debout, rassemblés au milieu d’un salon. Un homme se mit à parler de vous. Sans vous connaître, je découvrais ce que fut votre vie. Puis, le regard complice derrière vos lunettes rondes, vous vous êtes adressée à nous, une médaille de Chevalier des Arts et Lettres tout juste agrafée sur le cœur. Quelques minutes ont passées. Vous vous êtes approchée de moi et m’avez remercié d’être venu. Je me souviens de notre conversation d’alors. Nous parlâmes longuement du Pigeonnier du Quercy, carrefour des partages, où nous convînmes de nous retrouver souvent… mais souvent les chemins changent de route.
A notre seconde rencontre, nous nous sommes croisés brièvement, le temps d’un air de violoncelle, sous les arcades du Palais Royal. C’était un après-midi de mai ensoleillé. Sophie souriait en embrassant du regard l’assemblée des êtres proches et lointains qui vous entouraient.
Je suis arrivé à Taipei les derniers jours de juillet.
Aux premiers jours d’août, René m’apprit que jamais je ne vous retrouverai au détour des allées de votre Pigeonnier.
Voilà six mois que je suis à Taipei. Chaque jour me donne à découvrir un peu du monde que vous m’aviez décrit. Chaque jour je mesure combien mon quotidien est un peu l’héritage de cette tranche de vie que vous avez offerte au dialogue culturel entre la France et Taïwan.
Plusieurs fois je me suis rendu dans ces lieux qui vous furent si familiers. Dans votre librairie continue de planer une musique silencieuse d’orgue de barbarie. Nous y avons évoqué Barthes l’autre jour, entre amis, entre collègues, entre inconnus, qu’importe. L’autre soir un chauffeur de taxi m’a parlé de vous, comme ça, parce que je suis français.
Demain s’ouvrira le Salon du Livre de Taipei : des flots de mains des visiteurs sur les couvertures, des rires de gamins et séances de lectures. Le Bhoutan est à l’honneur cette année. Il sera donc question de bonheur, de bonheur passé, de bonheur de l’instant. Nous parlerons de vous, bien sûr, mais au futur. Car dans ce tumulte joyeux, louant toutes littératures, je trouverai dans les yeux de beaucoup, le reflet de vos lunettes qui nous interrogera d’un « Et après ? Si on faisait… » |