
Au centre du roman de Cecile Wajsbrot, il y a le metro parisien, qui happe et regurgite a chaque instant des milliers d'usagers, des milliers de vies anonymes. C'est pourtant la que Jason et Lena se rencontreront. La que leurs destins se figeront. Ailleurs, Aniela la bulgare reve de Paris, de s'echapper d'un monde communiste en ruine. Le roman dessine, en parallele, le portait de ces deux femmes dont les histoires se croisent ineluctablement ; d'autant que l'homophonie des prenoms, Aniela et Lena, marque la gemellite, et annonce un destin commun. Double inverse de Lena qui mene une existence recluse a cause de sa mere paralytique, Aniela est une jeune femme volontaire, bien decidee a exorciser le sort des generations anterieures marquees par la penurie du systeme bulgare. Nation par Barbes est un recit qui releve du mythe, celui du Minotaure qui, de son labyrinthe moderne, avale les vies de jeunes femmes innocentes. La desesperance, l'impossibilite d'aimer, l'exclusion trouvent un echo particulier dans ce voyage initiatique avorte, devenu trajet claustrophobe, ou les argonautes sont remplaces par des clochards avines. Tres construit, dans un style qui peche parfois par exces de preciosite, cet ouvrage qui part d'une tres belle idee et offre quelques pages ciselees, aurait gagne a etre traite d'une plume plus legere. Si l'entree en matiere et la chute sont particulierement reussies, on s'enfonce, au coeur de l'ouvrage, dans une matiere trop lisse, sans brio. Et pourtant, le lecteur reste sur cette impression de tension fragile, de desespoir sans larme. Comme a la lecture de La mouette de Tchekhov, il en resulte un sentiment de tragedie sourde et profonde. --Chloe S.--



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